
Les conflits en entreprise sont souvent attribués à des divergences de personnalités, des problèmes de communication ou des objectifs contradictoires. Pourtant, après deux décennies à diriger des équipes, piloter des projets et conseiller des organisations, j’ai identifié une cause sous-estimée, mais récurrente, des tensions professionnelles : l’incapacité à admettre ses limites.
Combien de réunions stériles, de projets retardés ou de relations dégradées auraient pu être évités si un collaborateur avait simplement osé dire : « Je ne sais pas comment faire » ?
Dans cet article, nous explorerons en profondeur les racines psychologiques et culturelles de cette réticence, les mécanismes de défense employés pour masquer l’incompétence temporaire, et les solutions concrètes pour instaurer une culture de transparence et d’apprentissage continu.
1. Les racines du problème : pourquoi avouer son incompétence est si difficile ?
Le poids des biais cognitifs
Plusieurs biais psychologiques expliquent cette résistance. L’effet Dunning-Kruger montre que les moins compétents surestiment souvent leurs capacités. Le biais de confirmation nous pousse à privilégier les informations validant notre image de professionnel accompli. Enfin, la peur de perdre la face est particulièrement marquée dans les cultures latines où l’expertise est un marqueur statutaire.
L’héritage toxique du « fake it till you make it »
Cette maxime popularisée dans les start-ups encourage à simuler la confiance, mais souvent au détriment de l’authenticité. Une étude du MIT (2022) montre que 68% des managers juniors préfèrent donner des réponses approximatives plutôt que reconnaître leurs lacunes.
Un environnement professionnel peu permissif
Dans beaucoup d’organisations, les erreurs sont sanctionnées plutôt qu’analysées. Les processus d’onboarding sont souvent insuffisants, et la charge mentale empêche de demander de l’aide, renforçant le syndrome de l’imposteur.
2. Les stratégies de compensation et leurs conséquences négatives
Lorsqu’un collaborateur ne maîtrise pas un sujet mais n’ose l’avouer, il adopte généralement des postures contre-productives.
L’évitement se manifeste par des retards chroniques ou des « oublis » de missions, entraînant une perte de confiance et une surcharge pour les collègues. La diversion consiste à critiquer les outils ou processus plutôt que d’admettre ses difficultés, ce qui démotive l’équipe.
Certains optent pour l’arrogance, affirmant péremptoirement que quelque chose est « impossible », bloquant ainsi l’innovation. Enfin, la stratégie du bouc émissaire, où l’on rejette la faute sur un tiers, détériore irrémédiablement le climat social.
Un cas concret illustre ces mécanismes : lors d’un projet IT que j’ai supervisé, un développeur a perdu trois semaines sur une fonctionnalité simple par peur de demander conseil. Le résultat fut une livraison en retard et un conflit avec le client.
3. Bâtir une culture de la transparence : cinq leviers concrets
Modéliser la vulnérabilité
Le leadership doit montrer l’exemple. Lors de nos derniers comex, j’ai volontairement partagé mes propres besoins de formation sur de nouvelles réglementations. Certaines entreprises instaurent des « Fail Fridays » où chacun partage une erreur récente et ses enseignements.
Recadrer la formation continue
Il s’agit de remplacer les remarques du type « Tu devrais savoir faire ça » par des questions comme « De quoi as-tu besoin pour y arriver ? ». La mise en place de binômes mentor-mentoré sur les compétences critiques s’avère particulièrement efficace.
Optimiser les boucles de feedback
Des checkpoints hebdomadaires non hiérarchiques (« Comment puis-je t’aider cette semaine ? ») créent un espace sécurisé. Certaines organisations utilisent des outils anonymisés pour identifier les blocages invisibles.
Sanctuariser le droit à l’expérimentation
Google autorise ses ingénieurs à consacrer 20% de leur temps à l’apprentissage. Chez Bridgewater Associates, chaque erreur documentée devient un cas d’école partagé.
Récompenser l’honnêteté intellectuelle
Intégrer dans les évaluations des critères comme « Capacité à identifier et combler ses lacunes » change la donne. La promotion des collaborateurs qui transforment des échecs en progrès collectifs envoie un signal fort.
Conclusion : vers une culture d’entreprise libérée de la peur de l’ignorance
Le véritable enjeu derrière l’incapacité à dire « je ne sais pas » touche à l’essence même du travail moderne. Nous évoluons dans des environnements si complexes que personne – pas même les experts les plus chevronnés – ne peut prétendre tout maîtriser.
Pourtant, cette évidence se heurte encore trop souvent à des cultures d’entreprise qui continuent de sacraliser l’image du collaborateur omniscient.
Le paradoxe est cruel : alors que nous valorisons officiellement l’apprentissage continu et l’innovation, nous pénalisons inconsciemment ceux qui ont le courage d’exprimer leurs limites. Combien de talents prometteurs se sont éteints parce qu’ils n’ont pas osé demander l’aide dont ils avaient besoin ? Combien d’énergies gaspillées à maintenir des apparences plutôt qu’à développer de réelles compétences ?
Les solutions que nous avons explorées – modélisation de la vulnérabilité par les leaders, création d’espaces sécurisés pour l’apprentissage, valorisation de l’honnêteté intellectuelle – ne requièrent pas de révolution organisationnelle. Elles demandent simplement un changement de regard sur ce qui fait réellement la valeur d’un professionnel : non pas ce qu’il sait déjà, mais sa capacité à apprendre ce qu’il ne sait pas encore.
Concrètement, chaque manager peut dès demain :
- Remplacer dans son vocabulaire « Tu devrais savoir » par « Qu’est-ce qui te bloquerait ? »
- Consacrer 10 minutes en début de réunion à partager collectivement une difficulté récente
- Faire de l’expression des limites un critère explicite dans les évaluations de performance
Ce n’est qu’en normalisant collectivement l’expression de nos zones d’ignorance que nous pourrons enfin :
- Réduire le stress et l’épuisement professionnel liés à la pression de la performance permanente,
- Accélérer les apprentissages et les montées en compétence,
- Restaurer la qualité des relations de travail fondées sur l’authenticité plutôt que sur les apparences.
La route est encore longue, mais chaque « je ne sais pas » assumé constitue un pas vers des organisations plus humaines et performantes. À nous d’écrire cette nouvelle page du management, non pas dans les manuels, mais dans notre pratique quotidienne.
Auteur: Dr Emeric Lebreton, cofondateur et dirigeant du groupe ORIENTACTION (15/04/2025)
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