L'universalité du processus de deuil
Au cours de mes vingt années de pratique clinique, j’ai été témoin d’une vérité psychologique fondamentale : toute perte significative, qu’elle soit concrète ou symbolique, déclenche un processus de deuil.
Cette réalité, que j’ai observée chez des centaines de patients et clients, m’a conduit à développer une approche raffinée de la courbe du deuil, devenue aujourd’hui l’un des outils centraux de ma pratique.
La force de ce modèle réside dans son applicabilité bien au-delà du deuil lié au décès. Il s’agit en réalité d’une cartographie des mécanismes psychologiques universels que nous activons face à tout type de perte ou de changement profond.
Dans notre société en mutation accélérée, où les transitions professionnelles et personnelles se multiplient, comprendre ces mécanismes devient une compétence essentielle pour naviguer dans les turbulences existentielles.
1. Anatomie d’un processus universel
Les cinq étapes fondamentales revisitées
Ma version opérationnelle de la courbe du deuil identifie cinq phases psychologiques distinctes, bien que non nécessairement linéaires :
- Le choc et le déni : le système de protection psychique
Cette réaction initiale, souvent mal comprise, joue un rôle crucial d’amortisseur émotionnel. Le déni n’est pas un refus pathologique de la réalité, mais un mécanisme d’auto-protection qui permet à la psyché de digérer progressivement l’impact de la perte.
Dans le contexte professionnel, cela peut se manifester par des pensées comme « Ce n’est qu’un mauvais rêve » après un licenciement inattendu, ou « Ils vont bien finir par me rappeler » lors d’une rupture contractuelle.
- La colère : l’énergie paradoxale du changement
Lorsque le voile du déni se lève, la colère émerge souvent avec une intensité surprenante. Cette émotion, socialement stigmatisée, contient en réalité une énergie transformationnelle puissante. La clé consiste à canaliser cette force vers des activités constructives plutôt que destructrices. J’ai souvent observé que les patients qui parviennent à transformer leur colère en moteur d’action progressent plus rapidement dans leur processus de deuil.
- La négociation : le marchandage avec la réalité
Cette phase subtile et souvent prolongée représente une tentative du psychisme de retrouver un sentiment de contrôle. Elle se manifeste par des pensées conditionnelles (« Si je travaille plus dur, peut-être que… ») ou des scénarios de retour en arrière imaginaires.
Dans les ruptures amoureuses, cela peut prendre la forme de promesses de changement irréalistes.
- La dépression : le creux nécessaire avant la renaissance
Il est crucial de distinguer cette dépression réactionnelle (qui fait partie intégrante du processus de deuil) de la dépression clinique. Il s’agit d’une phase de repli et de tristesse profonde où l’on commence à accepter l’ampleur réelle de la perte. Paradoxalement, c’est souvent au plus profond de cette phase que les premiers signes de guérison apparaissent.
- L’acceptation : la reconstruction
Contrairement à une idée reçue, l’acceptation ne signifie pas l’oubli ou l’indifférence, mais plutôt la capacité à intégrer la perte dans son histoire personnelle sans qu’elle ne domine plus toute l’existence. C’est à partir de ce socle qu’une nouvelle croissance devient possible.
2. Applications pratiques et nuances cliniques
Les variations individuelles du processus
L’un des enseignements les plus précieux de ma pratique est que chaque parcours de deuil est unique. Certaines personnes traversent ces étapes en quelques semaines, d’autres en plusieurs années. Certaines oscillent entre différentes phases, d’autres semblent « sauter » des étapes. Ces variations dépendent de multiples facteurs :
- La nature de la perte (soudaine vs anticipée).
- Le contexte de vie global.
- Les ressources psychologiques individuelles.
- Le soutien social disponible.
Un outil d’auto-diagnostic dynamique
Dans mes accompagnements, j’utilise la courbe du deuil comme un outil vivant et interactif. Voici comment procéder :
- Positionnement : identifier sa position actuelle sur la courbe (sachant qu’on peut être à différents stades pour différents aspects d’une même perte).
- Validation : comprendre que sa réaction est normale et partagée par d’autres dans des situations similaires.
- Stratégie : adapter son comportement en fonction de la phase identifiée.
Interventions spécifiques par phase
En phase de choc/déni :
- Ne pas prendre de décisions importantes.
- S’appuyer sur des routines rassurantes.
- Noter les faits objectifs pour aider à intégrer progressivement la réalité
En phase de colère :
- Canaliser l’énergie vers l’activité physique.
- Exprimer ses émotions de manière contrôlée (écriture, art).
- Éviter les décisions impulsives.
En phase de négociation :
- Lister objectivement les options réalistes.
- Discuter avec des personnes extérieures pour garder une perspective réaliste.
- Éviter les promesses irréalistes à soi-même ou aux autres.
En phase dépressive :
- S’autoriser à ralentir et à se reposer.
- Maintenir des contacts sociaux même minimaux.
- Éviter l’isolement prolongé.
En phase d’acceptation :
- Commencer à explorer de nouvelles possibilités.
- Réinvestir progressivement des projets.
- Trouver des moyens symboliques d’honorer ce qui a été perdu.
3. Au-delà du modèle – les nuances cliniques
Les complications du processus de deuil
Dans environ 15% des cas (selon mes observations cliniques), le processus de deuil peut se compliquer et nécessiter une intervention plus spécifique. Les signes d’alerte incluent :
- Une fixation prolongée dans une phase particulière (plus d’un an sans progression).
- Des symptômes physiques persistants (troubles du sommeil, perte/appétit marquée).
- Une incapacité totale à fonctionner au quotidien.
- L’apparition de comportements auto-destructeurs.
L’importance du rituel dans le processus de deuil
Un aspect souvent négligé dans l’accompagnement des personnes en deuil est le rôle des rituels. Dans ma pratique, j’ai développé des « rituels de transition » personnalisés qui aident à :
- Marquer symboliquement la perte.
- Créer une coupure psychologique entre « avant » et « après ».
- Faciliter le processus d’acceptation.
Ces rituels peuvent prendre des formes très variées : cérémonies d’adieu symboliques, lettres de séparation, création artistique, etc.
Conclusion : la sagesse du temps et de l’auto-compassion
Le message le plus important que je souhaite transmettre à travers cet outil est que le deuil suit son propre rythme et ne peut être forcé. Dans notre société obsédée par la performance et le « moving on » rapide, nous avons perdu la sagesse ancestrale qui reconnaissait la nécessité du temps pour guérir.
La courbe du deuil nous rappelle plusieurs vérités essentielles :
- La souffrance a un sens : chaque phase du processus remplit une fonction psychologique nécessaire
- La progression n’est pas linéaire : les rechutes et les oscillations font partie du processus normal
- L’acceptation n’est pas l’oubli : on ne « tourne pas la page » sur une perte significative, on apprend à vivre avec elle différemment
En tant que professionnel, j’ai vu des centaines de personnes retrouver espoir simplement en comprenant que ce qu’elles vivaient n’était pas une anomalie, mais une réponse humaine universelle à la perte. Cette prise de conscience permet souvent de lâcher la pression de « devoir aller mieux » et de s’engager plus sereinement dans le processus naturel de guérison.
Pour ceux qui traversent une période de transition : rappelez-vous que chaque fin contient en germe un nouveau commencement. Votre parcours peut être douloureux, mais il n’est pas sans signification. Et parfois, le plus grand acte de courage consiste simplement à accepter d’être en chemin plutôt que d’être déjà arrivé.
Auteur: Dr Emeric Lebreton, cofondateur et dirigeant du groupe ORIENTACTION (15/04/2025)
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